Cottingley, Des Fées dans l’Objectif ou la Plus Belle Illusion du Siècle ?

31 Juil 2025 | Articles

Plus d’un siècle après leur première apparition sur pellicule, les « fées de Cottingley » continuent de faire rêver … et de susciter bien des convoitises. Le 29 juillet 2025, une nouvelle vente aux enchères remet sous les projecteurs ces célèbres photographies.

Ce jour-là, la salle John Taylors Auction Rooms, à Louth (Lincolnshire), met en vente un lot exceptionnel : un portefeuille resté intact pendant un siècle, soigneusement conservé par la famille d’une amie d’enfance de Frances Griffiths, l’une des deux jeunes filles à l’origine du canular. Il contient deux épreuves argentiques datées de 1920, toujours rangées dans leur chemise cartonnée d’origine, un portrait d’époque des deux cousines, ainsi qu’une petite collection de coupures de presse.

Ces documents, précieusement conservés, constituent bien plus qu’un simple lot d’archives. Pour en mesurer toute la portée, il faut revenir à l’histoire singulière à laquelle ils sont intimement liés : celle des célèbres fées de Cottingley.

Les Fées Posent pour la Photo ...

Et Rien Ne Sera Plus Jamais Comme Avant

Ces clichés, abondamment commentés à l’époque, sont pris en 1917 dans une vallée reculée du Yorkshire, au nord de l’Angleterre, par deux jeunes filles : Elsie Wright et Frances Griffiths.

Les deux cousines, alors âgées de 16 et 10 ans, jouent près d’un petit ruisseau appelé Cottingley Beck, niché derrière la maison familiale. C’est là, affirment-elles, qu’elles croisent régulièrement de mystérieuses créatures ailées. Un jour, munie de l’appareil photo de son père, Elsie immortalise la scène : des fées dansent autour de Frances, figées dans une posture aérienne presque chorégraphique. Sur un autre cliché, un gnome semble surpris en plein mouvement.

La réception des photographies chez Edward Gardner, en ce début d’année 1920, marque un tournant inattendu dans l’histoire de la théosophie britannique.

Née à la fin du XIXᵉ siècle, la théosophie, fondée par Helena Blavatsky, cherche à unir science, religion et philosophie autour de l'idée d’un univers régi par des forces invisibles et d’une évolution spirituelle de l’humanité. Les fées, pour les théosophes, appartiennent à un ordre naturel encore méconnu. Ainsi, les clichés de Cottingley pourraient constituer une preuve de cette réalité cachée que la théosophie s’efforce de dévoiler.

Les Fées de Cottingley Déconcertent Même les Experts

Face à ces clichés, Edward Gardner lance une enquête rigoureuse. Il examine les négatifs envoyés par le père d’Elsie, puis les confie à Harold Snelling,  « expert en photographie spécialisé dans les trucages parapsychiques ».

Kodak confirme l’analyse, tout en refusant de valider officiellement les clichés… car les fées, officiellement, n’existent pas."

Le 31 juillet 1920, Harold Snelling conclut que les deux négatifs sont authentiques : aucune trace de trucage, une prise unique en extérieur, et un mouvement visible dans les figures.

Aucun indice de montage ou de modèles artificiels. Kodak confirme l’analyse, sans valider officiellement les clichés… car les fées, officiellement, n’existent pas.
Fort de cette validation, Gardner fait réaliser des agrandissements et versions « clarifiées » pour ses conférences à travers le Royaume-Uni.

Ces images deviennent des curiosités, mais aussi des signes d’espoir pour ceux qui croient en un monde invisible sur le point de se dévoiler.

Comment Conan Doyle a Popularisé l’Affaire Cottingley

Les tirages attirent vite l’attention de Sir Arthur Conan Doyle, fervent spirite, contacté en juin 1920 par le Strand Magazine pour un article sur les fées. En découvrant les photos de Cottingley, il y voit une « aubaine » pour sensibiliser le public aux phénomènes invisibles.

Une collaboration se noue rapidement avec Edward Gardner : ce dernier poursuit les enquêtes sur le terrain, tandis que Conan Doyle, homme de lettres, assure la promotion du dossier. Ensemble, ils veulent faire toute la lumière sur une affaire qui pourrait, selon eux, changer la perception du monde spirituel.

À la fin juillet 1920, Gardner visite Cottingley sur les conseils de Conan Doyle. Il reconnaît les lieux des clichés, écartant l’idée d’un montage en studio. Le comportement discret d’Elsie renforce sa conviction d’une démarche sincère.

Cottingley, Acte II

Les Trois Photos Qui Relancent le Mystère Féérique

Lors de sa visite, Arthur Wright affirme avoir fouillé la maison sans trouver trace de supercherie. Convaincu de la sincérité des faits, Gardner décide d’aller plus loin : il confie aux cousines deux appareils Cameo et 24 plaques vierges, discrètement marquées pour éviter toute tricherie, espérant une nouvelle apparition.

En août 1920, après quelques jours d’attente perturbés par la météo, Elsie et Frances prennent trois nouvelles photographies.

La première, intitulée Frances and the Leaping Fairy, montre Frances de profil, une fée semblant surgir en vol gracieux juste devant son visage. C’est Elsie qui prend ce cliché.

La seconde, Fairy Offering Posy of Harebells to Elsie, représente une fée posée délicatement sur une branche, tendant une petite fleur à la jeune fille.

La dernière, Fairy Sunbath, est la plus mystérieuse : aucune des deux cousines n’y figure. On voit uniquement un groupe de petites créatures féeriques, allongées dans l’herbe, comme en pleine sieste au soleil.

Les cousines affirment que les fées ne se manifestent pas en présence d’adultes. Le 19 août, alors que Polly Wright rend visite à sa sœur, les filles restent seules et prennent trois nouvelles photos.

Cette dernière photo, la plus controversée, nourrira les débats jusqu’aux révélations de 1983, où Elsie et Frances auront des versions divergentes. Gardner, pour sa part, veille à vérifier que les plaques rendues sont bien celles qu’il avait discrètement marquées.

Un Mythe à Découper : Les Fées de Carton face aux Experts

Peu après, Polly Wright exprime sa déception face au faible nombre de clichés, évoquant une météo défavorable et une seule prise réussie lors d'une seconde sortie. Gardner, lui, reste persuadé d’avoir obtenu la preuve attendue et en informe aussitôt Conan Doyle. Ce dernier, enthousiaste, publie un second article dans The Strand Magazine en mars 1921. L’affaire prend alors une dimension internationale. Les cinq clichés fascinent et divisent pendant plus de soixante ans, jusqu’aux révélations tardives des deux cousines.

En mai 1965, le journaliste Peter Chambers retrouve Elsie Wright (devenue Hill), de retour en Angleterre. Lors de sa première interview publique depuis 1921, elle suggère que les photos pourraient être les « fruits de son imagination », relançant l’intérêt médiatique sans avouer explicitement une supercherie.

En 1971, la BBC consacre un reportage à l’affaire. Filmées pendant dix jours, Elsie répète que les images viennent de leur imagination, tandis que Frances souligne leur jeune âge à l’époque et le fait qu’on ne garde pas un mensonge si longtemps. Les deux confirment qu’aucun adulte n’était présent lors des prises de vue, tout en admettant un certain sens de l’humour.

En 1976, interviewées par Yorkshire Television, Elsie et Frances admettent qu’« une personne rationnelle ne voit pas les fées », sans reconnaître de trucage. L’équipe de tournage réalise un montage avec des découpes en carton, démontrant que les photos auraient pu être fabriquées.

En août 1978, New Scientist publie une analyse concluant que les clichés sont des faux, révélant des supports visibles, des incohérences techniques et le passé d’Elsie dans un studio photo. Le sceptique James Randi souligne la ressemblance des fées avec des illustrations du Princess Mary’s Gift Book (1914), bien connu d’Elsie.

Dès 1982, Geoffrey Crawley, du British Journal of Photography, mène une enquête approfondie. Il analyse les capacités des appareils utilisés, la composition des clichés et identifie définitivement leur source : le livre pour enfants évoqué par Randi. Sa conclusion, fondée sur des preuves scientifiques, confirme la supercherie imaginée par deux adolescentes inventives.

1983 : L’Aveu Qui Enterre le Mythe des Fées de Cottingley

En 1983, l’affaire trouve son épilogue. À 81 ans, Elsie Hill découvre l’enquête rigoureuse de Crawley et lui adresse une lettre manuscrite de neuf pages, premier aveu officiel du canular. Elle y explique avoir copié des illustrations du Princess Mary’s Gift Book, dessiné les fées sur du carton et les avoir fixées dans le décor avec des épingles à cheveux. Son silence, dit-elle, tenait à une forme de compassion : « J’étais… triste pour Conan Doyle », évoquant ses deuils et les moqueries subies. Elle ne voulait pas briser l’illusion d’un homme en quête de réconfort.

Mais les premiers aveux remontent à septembre 1981, lorsque Frances Griffiths confie à l’écrivain Joe Cooper que les quatre premières photos sont truquées. Elle révèle qu’Elsie s’est inspirée du Princess Mary’s Gift Book, rapporté d’Afrique du Sud en 1917. Toutefois, Frances affirme que la cinquième photo, montrant des fées allongées dans l’herbe, est authentique.

En 1983, les deux cousines officialisent leurs aveux dans The Unexplained. Frances y réaffirme la véracité de cette dernière image. Geoffrey Crawley, dans The Times, propose une explication : il pourrait s’agir d’une double exposition involontaire, permettant à chacune de croire en sa version. Ainsi se clôt l’un des plus célèbres canulars du XXᵉ siècle, né du jeu, du merveilleux, et d’un besoin de croire dans une époque marquée par la guerre et le deuil.

Cottingley

La Fin d’un Rêve, le Début d’une Légende

En 1990, Joe Cooper publie The Case of the Cottingley Fairies, où il revient sur sa rencontre avec Frances Griffiths. Celle-ci maintient avoir vu des fées près de Cottingley Beck et affirme que la cinquième photo est authentique, même si les créatures observées différaient des figures figées sur les clichés.

Elsie, quant à elle, reste catégorique : « Jamais je n’y ai cru, jamais je n’y croirai », réduisant l’affaire à une plaisanterie enfantine qui les a dépassées.

La révélation de 1983 met fin à 66 ans de spéculations. Elle révèle aussi comment deux adolescentes, grâce à quelques dessins, des ciseaux et une part de mystère, ont réussi à tromper le public, des experts… et même Conan Doyle.

OFF Inspiration

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Sources & références

1. https://www.bbc.com/news/articles/c0j4xdww4wlo
2. https://www.citizen-k.com/les-fees-une-imagerie-millenaire/
3. https://bust.com/the-fairies-tale/
4. https://www.bbc.com/news/uk-england-leeds-55187973
5. https://fr.wikipedia.org/wiki/F%C3%A9es_de_Cottingley
6. https://victorianweb.org/authors/doyle/fairies.html
7. https://www.hud.ac.uk/news/2023/september/cottingley-fairies-hoax-endues-global-interest/
8. https://www.vice.com/fr/article/fees-cottingley-canular-xxe/
9. https://www.encyclopedia.com/science/encyclopedias-almanacs-transcripts-and-maps/cottingley-fairies
10. https://en.wikipedia.org/wiki/Cottingley_Fairies
11. https://www.natachahenry.com/parutions/laffaire-des-fees-de-cottingley
12. https://vaultofevil.proboards.com/thread/2018/joe-cooper-case-cottingley-fairies
13. https://paintvine.co.nz/blogs/news/the-cottingley-fairies-hoax
14. https://unpeudemoi.weebly.com/uploads/2/8/0/6/28069119/7._des_supercheries.pdf
15. https://www.academia.edu/112469730/Cottingley_Fairy_Interviews
16. https://www.conwayhall.org.uk/whats-on/event/the-cottingley-fairies-100-years-of-the-fairy-photographs/
17. https://www.bbc.co.uk/news/uk-england-leeds-45748927
18. https://www.historic-uk.com/CultureUK/The-Fairies-of-Cottingley/
19. https://www.caminteresse.fr/societe/les-fees-du-yorkshire-lincroyable-canular-qui-a-berne-arthur-conan-doyle-11192549/
20. https://stills.org/exhibitions/photographing-fairies/
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24. https://archive.org/details/princessmarysgif00mary
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26. https://theonlinephotographer.typepad.com/the_online_photographer/2010/11/geoffrey-crawley-1926-2010.html
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28. https://www.telegraph.co.uk/news/obituaries/science-obituaries/8115973/Geoffrey-Crawley.html
29. https://archive.org/details/princessmarysgif00torouoft
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31. http://www.pictorialplanet.com/page-4/Crawley/CrawleyIntroduction.html
32. https://en.wikisource.org/wiki/Princess_Mary's_Gift_Book
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34. https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Princess_Marys_Gift_Book-032.jpg
35. https://www.academia.edu/124928054/Doyle_White_E_2024_The_Cottingley_Case_in_Modern_Esoteric_Fairy_Literature_in_Simon_Young_ed_The_Cottingley_Fairy_Photographs_New_Approaches_to_Fairies_Fakes_and_Folklore_Pwca_Books_
36. https://en.wikipedia.org/wiki/File:Cottingley_fairies_illustration.jpg
37. https://www.rct.uk/collection/1024334/princess-marys-gift-book