Marcel Forget, connu sous le nom de Belline, naît en 1924 dans une famille bourgeoise, fils d’un antiquaire et d’une mère au foyer. Surnommé le « Prince des voyants », il demeure une figure emblématique des arts divinatoires du XXᵉ siècle, guidé par des forces... de l’esprit. Mais avant de se consacrer pleinement à l'exercice de la voyance, Marcel était un jeune garçon ordinaire, passionné d’histoire.
À 12 ans, une première expérience au-delà des apparences lui permet d’entrevoir une vision tragique : « des fleuves de sang, des visages meurtris, des taureaux égorgés ». Quelques jours plus tard, la guerre civile espagnole éclate. Pourtant, ces premières prémonitions ne le détournent pas de son chemin initial.
Après des études classiques, Marcel embrasse à 16 ans la carrière d’antiquaire, une vocation naturelle dans une époque où le passé semble offrir un refuge face aux incertitudes du présent. Nous sommes en 1940, la France ploie sous le joug de l’Occupation.
Quand Belline ouvre la malle du destin
Un jour, en fouillant dans une vieille malle, il découvre un ouvrage intitulé ''Essai de chiromancie moderne'' de Jean des Vignes Rouges (1879-1970), sous-titré ''Votre avenir révélé dans les signes de la main'' (1935). Ce signe du destin bouleverse ses priorités. Il commence à s’exercer à la chiromancie, s’initie ensuite à la graphologie et se laisse progressivement guider par ses intuitions. Peu à peu, Marcel développe une capacité étonnante à « toucher les âmes ».
À 18 ans, malgré les réticences de son père, peu enclin à le voir « jouer les apprentis sorciers ou les bonimenteurs de foire », il ouvre son propre fonds de commerce. Infatigable, Marcel arpente greniers et brocantes à la recherche de trésors oubliés. Parallèlement, révolté par les exactions de l’occupant et la politique de collaboration du régime de Vichy, il s’engage dans la Résistance.
En 1944, atteint de tuberculose, il est contraint de rejoindre un sanatorium dans les Alpes. Là, isolé dans une petite chambre, il traverse cinq mois de solitude extrême, où s’évader par la pensée devient son seul échappatoire. Une nuit, alors qu’il est allongé dans son lit, une vision l’assaille : il voit un homme en détresse derrière la cloison. Alerté, l’infirmier découvre son voisin au bord de la mort, victime d’une occlusion intestinale. L’homme est sauvé in extremis.
Cette expérience bouleverse Marcel et confirme ce qu’il hésitait encore à accepter : il est voyant, appelé à vivre non seulement sa propre existence, mais aussi à secourir celle des autres. Ainsi, le destin de Marcel Belline prend un tournant décisif : celui ''d’un voyant à la recherche du temps futur ''.
Au sanatorium, submergé par un flot croissant de demandes de consultations mais rongé par le doute quant à ses compétences, une vision s’impose à lui avec une transparence saisissante : il voit son père mourant. Frappé par l’urgence, il prend le train pour Paris et le retrouve sur son lit de mort.
La disparition de son père confronte Belline à un dilemme déchirant : honorer sa mémoire en renonçant à la voyance ou suivre sa vocation, en dépit de la volonté paternelle. Faute de moyens, il se voit dans l’obligation de reprendre son activité d’antiquaire. Cette contrainte devient d’autant plus impérative qu’un heureux événement vient bouleverser sa vie : la naissance de son fils Michel en 1946. Désormais père de famille, Marcel doit assurer la subsistance des siens, même si ce métier d’antiquaire ne le passionne guère.
L'Oracle Belline composé de 53 cartes est basée sur un système astrologique appelé "septénaire", organisé autour des 7 planètes fondamentales. L'Horoscope Belline, version simplifiée de l'Oracle Belline, plus accessible au grand public et Le Grand Tarot Belline, créé par le Mage Edmond au XIXe siècle et édité par Belline. Arcane central signé par Marcel Belline en 1984.
De 1955 à 1978, Belline a régulièrement livré ses prédictions ou répondu à des interviews à L'équipe, France-Soir, L'Express, Ici Paris, France Dimanche, Ciné Revue, Le Nouvel Observateur, à Scient et Vie, Paris Match et au Figaro mais aussi à l'international, au Daily Miror en Angleterre, La Tribune de Genève en Suisse, à El Diario Crónica en Argentine, El Diario La Nación au Chili, la Stampa Sera en Italie, Kuifje Weekblad au Pays Bas etc.
Quand Belline transforme sa vocation en profession
En 1954, grâce à l’aide providentielle de l’un de ses premiers clients et après avoir surmonté ses hésitations et scrupules, Marcel Belline franchit enfin le pas : il s’installe comme voyant professionnel. C’est à Paris, au 45 rue Fontaine, qu’il dessine les contours de sa destinée hors du commun, dans un lieu empreint d’histoire, où vécut également un autre visionnaire célèbre, Auguste Villiers de l’Isle-Adam. Pourtant, si tout semble écrit, rien n’est encore acquis. Le talent de Belline, porté par le bouche-à-oreille, finit par s’imposer dans la société parisienne des années 1950.
Dans son cabinet, de 8h à 18 heures, Belline reçoit chaque jour des personnes en quête de réponses. Un jour, une femme d’apparence modeste fait une entrée remarquée par la simplicité de son histoire. Elle décrit sa vie comme une « nappe d’eau unie », sans événements marquants. Pour Belline, cette consultation constitue un véritable défi : rien dans ses perceptions, ni dans les cartes, ne laisse entrevoir de bouleversements à venir. Sans détour, il lui explique que son quotidien restera paisible, fidèle à un long fleuve tranquille. À sa grande surprise, cette déclaration ne provoque ni déception ni frustration chez sa cliente, mais au contraire une reconnaissance inattendue : « Tous les autres voyants m’ont raconté monts et merveilles pour me rassurer, mais vous êtes le seul à avoir eu le courage de me dire la vérité ».
Touchée par cette sincérité, la femme confie à Belline un héritage d’une grande valeur historique et symbolique : des documents personnels, des manuscrits et des objets ayant appartenu à Jules Charles Ernest Billaudot, connu sous le nom de Mage Edmond (1829-1881). Ce voyant illustre, qui exerçait au numéro 30 de la rue Fontaine, jouissait d’une grande renommée pour ses consultations auprès de figures célèbres. Parmi les biens transmis à Belline figurent notamment deux oracles composés de deux oracles, un Tarot de 78 arcanes et un jeux divinatoire, ''L'urne du destin'', composé de 52 lames uniques dessinés et peints par le Mage Edmond. Ces cartes auraient servi à prédire l’avenir de Napoléon III, Victor Hugo ou encore Alexandre Dumas et Eugène Sue .
Quelques années plus tard, un collectionneur offre une somme astronomique pour acquérir les oracles d’Edmond. Belline s’oppose fermement à cette proposition. Peu de temps après, c’est au tour de Picasso de manifester son intérêt pour ces œuvres. Une fois encore, Belline décline l’offre, mais, dans un souci de transmission et afin de ne pas demeurer le dernier gardien de cet héritage précieux, il prend la décision de les reproduire.
En 1960, L’Oracle Belline ( L'urne du Destin'' de son nom d'origine), un jeu de 53 cartes, est édité par La Ducale, puis en 1961 par Grimaud. Une version simplifiée, destinée à un public plus large, voit le jour en 1964 sous le nom de L’Horoscope Belline. En 1966, un deuxième jeu du Mage Edmond, baptisé Le Grand Tarot Belline, est réédité par J.P. Simon.
Prédictions historiques
Belline entre en scène dans les médias
Au milieu des années 1950, alors que la presse écrite domine encore la diffusion de l’information, bien au-delà d’une télévision balbutiante ou des rares stations de radio, Belline arpente les salles de rédaction avec l’espoir de faire publier les écrits d’un ami. Ses tentatives échouent, mais il tisse des liens précieux dans un milieu où chaque publication peut transformer une idée en mouvement.
En 1955, alors qu’il se trouve dans la salle de rédaction de France-Soir, Belline est soudain saisi d’un flash : il voit Dwight Eisenhower se tenir la poitrine, un signe évident de crise cardiaque. Devant un parterre de journalistes sceptiques, il déclare : « Le président Eisenhower sera malade cet été ». Contre toute attente, la prédiction est publiée dans une rubrique intitulée ''Boulevard à ragots''.
Le 29 septembre 1955, la nouvelle éclate : le président Eisenhower est victime d’une crise cardiaque. L’événement fait les gros titres, et des journaux internationaux, à commencer par le Daily Mirror, relaient l’information. Ce dernier souligne que Belline avait prédit l’incident plusieurs mois auparavant. L’article, accompagné d’une photo du voyant, détaille la prédiction. De la France au Royaume-Uni, des Pays-Bas à l’Argentine, Belline devient une personnalité consultée par les médias du monde entier.
En 1956, un partenariat l'engage avec le journal L'Équipe. Cette nouvelle collaboration lui ouvre les portes du milieu sportif. Invité sur le plateau de l'émission télévisée Sports Panorama, Belline surprend une fois de plus son auditoire en allant à l'encontre de tous les pronostics des chroniqueurs réunis autour de Georges de Caunes. Une quinzaine de jours avant le combat de l'été 1956, qui doit opposer le boxeur français Robert Cohen, champion du monde poids coq, à l'Italien Mario d'Agata, Belline déclare : « Je vois Cohen aller à terre, se relever, mais finalement la victoire lui échappera ». La prédiction se confirme le 29 juin 1956, et on lui reproche d'avoir « influencé » le champion. Belline se pose alors un véritable cas de conscience et s'interroge sur les limites de l'éthique qu'il a lui-même définies.
En 1958, il choisit de ne plus se consacrer à ce type de prédictions afin de préserver la noble et glorieuse incertitude du sport. Belline laisse derrière lui des chiffres éloquents : 80 % de ses prédictions sportives se sont avérées exactes avec le temps. Les prédictions de Belline, souvent vérifiées avec une précision déconcertante, marquent durablement les esprits.
Parmi ses annonces célèbres, on retrouve :
- La fin de la guerre d'Indochine (1954).
- Le décès d’Albert Einstein (1955).
- Le naufrage de l’Andrea Doria, entré en collision avec le paquebot Stockholm près des côtes américaines (juillet 1956).
- L’affaire du Canal de Suez (juillet 1956).
- Le lancement du satellite soviétique Spoutnik (août 1957).
- Le suicide par overdose de Marilyn Monroe (4 août 1962).
- La crise des missiles de Cuba (octobre 1962).
- L’assassinat de John Fitzgerald Kennedy (22 novembre 1963).
- Le retour du Général De Gaulle à la présidence de la République (1958) et sa démission après l’échec du référendum sur le Sénat (28 avril 1969).
- La guerre des Six Jours entre Israël et une coalition de pays arabes (juin 1967).
- Les barricades de Mai 1968 en France.
- L’assassinat de Robert Fitzgerald Kennedy (5 juin 1968).
- L’engagement de Brigitte Bardot pour la cause animale, débuté en 1962 avec son combat pour l’introduction du pistolet d’abattage indolore dans les abattoirs.
- La victoire de Georges Pompidou aux élections présidentielles (15 juin 1969).
- La mort tragique de Claude François par électrocution (11 mars 1978).
''La troisième oreille. A l'écoute de l'Au-delà'' encart publicitaire publié le 19 décembre 1972, dans l'hebdo Maxipop & couverture du livre édité chez Robert Laffont en 1972.
La « Troisième Oreille » de Belline
Un pont entre deux mondes
Conscient de la responsabilité liée à son don, le « Prince des voyants » l’a exercé avec éthique et bienveillance, sans se laisser griser par la notoriété.
Au début des années 1960, lors d’un séjour à Rio de Janeiro, Belline rencontre une célèbre voyante brésilienne. Pour la première fois, il se retrouve de l’autre côté de la table. Au fil de la consultation, la voyante lui décrit une vision surréaliste : une oreille géante posée sur sa tête, auréolée de lumière. Elle l’interprète ainsi : « Vous aurez l’oreille de personnes importantes, à cause de quelque chose que vous ferez ».
Cette étrange prédiction semble n’avoir aucun écho immédiat... Dans la nuit du 1er au 2 août 1969, son fils unique, Michel, trouve la mort dans un tragique accident de voiture. Deux heures avant le drame, une angoisse prémonitoire, surgie en pleine nuit, avait brusquement réveillé Belline, le laissant impuissant face à ce qu’il pressentait.
Le décès de leur fils unique marque un tournant douloureux dans la vie de Belline et de Suzanne, son épouse. Chaque jour, le vide laissé par Michel semble plus lourd, mais bientôt, Belline commence à percevoir des signes troublants, des appels de son fils qui semble vouloir établir un contact depuis l’au-delà. Profondément ébranlé, il se débat avec ses doutes : ces manifestations sont-elles réelles ou simplement le reflet d’un espoir désespéré ?
Pendant vingt mois, la peur de perturber le repos de son fils dans l’autre monde le retient d’agir. Pourtant, soutenu par Suzanne et guidé par l’espoir de renouer un lien indicible, il finit par franchir le pas. Le 6 avril 1971, Belline établit un premier contact avec Michel, un moment à la fois bouleversant et apaisant, qui marquera à jamais sa quête spirituelle.
Ces échanges avec son fils renforcent sa conviction en une existence après la mort et son désir de transmettre un message d’espoir. Bouleversé par cette expérience, il choisit de la partager dans ''La Troisième Oreille : à l’écoute de l’au-delà'', publié en 1972 aux éditions Robert Laffont et traduit en cinq langues. Cet ouvrage poignant raconte ses communications avec Michel, appuyées par les réflexions et témoignages d’intellectuels, de poètes, de savants et de philosophes de son époque.
Le titre même de l’ouvrage fait écho à la vision de la voyante brésilienne : Belline est une véritable « troisième oreille » pour une centaine de personnalités. Ces dernières abordent, avec sensibilité, la question de la vie après la mort. Parmi elles figurent des figures illustres telles que le philosophe Gabriel Marcel, qui avait surnommé Belline « Le Prince des voyants », ainsi que des académiciens comme Jean Rostand, Maurice Druon, Joseph Kessel et René Clair. S’ajoutent à cette liste des prix Nobel (Alfred Kastler, Louis Néel, le professeur Tinbergen, Sir Edgar Douglas Adrian), des autorités religieuses (le cardinal Daniélou, le rabbin Josy Eisenberg), des écrivains (Henry de Montherlant, Pierre Boulle), des artistes (Michèle Morgan, Federico Fellini, Yehudi Menuhin, Maurice Chevalier), et des journalistes comme Henry Chapier.
Chacune de ces signatures enrichit la réflexion sur la vie après la mort, un thème central dans l'œuvre de Belline, nourri par son récit intime de la perte de son fils et des échanges qu'il affirme avoir eus avec lui.
Belline est l'auteur de :
- Comment je suis devenu voyant 1964 Ed. Pierre Horay.
- Histoires extraordinaires d'un voyant 1967 Ed. Du Dauphin.
- Le dossier William Bart 1970 Ed. Du Dauphin.
- La troisième oreille 1972 Ed Robert Laffont
- Un voyant à la recherche du temps futur 1975 Ed. Robert Laffont.
- Petite encyclopédie des Arts divinatoires 1977 Ed. Robert Laffont
- Anthologie de l'Au-delà 1978 Ed. Robert Laffont.
- Les grands visionnaires de l'Histoire 1983 Ed. Robert Laffont.
- De l'autre coté de la vie 1984 Ed. Tchou, dans le collectif d'auteurs du livre.
Destin et libre arbitre
Marcel Belline au micro de Jacques Chancel
En 1969 puis en 1972, Marcel Belline est invité à participer à Radioscopie, l’émission-phare de Jacques Chancel sur France Inter, véritable référence de l’époque. Pendant près d’une heure, il livre sans détour les multiples facettes de son don, évoque avec profondeur ses réflexions philosophiques et les épreuves marquantes qui ont jalonné son parcours. Ces entretiens, marqués par une rare authenticité, offrent un éclairage précieux sur la personnalité et l’itinéraire singulier de cet homme hors du commun.
Lors de cet entretien radiophonique, qui laisse une empreinte indélébile dans l’histoire de la radiodiffusion et ses écrits, Belline érige la médiumnité en un art sensible, mêlant intimité et philosophie. En filigrane de son témoignage, il aborde avec finesse les grandes interrogations de l’humanité : le destin, le libre arbitre et la nature de la mort. Peut-on infléchir le cours des événements ou ne sommes-nous que de simples spectateurs, impuissants face au destin ?
Sans prétendre apporter de réponse définitive, ses paroles, empreintes d’émotion et de sagesse, invitent chacun à explorer sa propre perception de l’existence. Ce moment rare, où l’intime croise l’universel, reste une source de questionnements sur le mystère profond de la vie et de la mort.
À travers ses prédictions, Belline dévoile une approche inspirée de son don et de sa sensibilité. Pourtant, il n’hésite pas à reconnaître ses erreurs, qu’il attribue à des périodes de doute ou d’égarements personnels. Cette capacité à accepter ses failles témoigne de sa sagesse : pour lui, la voyance n’est pas une vérité immuable sur l’avenir, mais un outil précieux, destiné à éclairer les choix qui se présentent à chacun.
En mettant en lumière l’imperfection humaine, Belline montre que l’essence de son art réside moins dans la prédiction que dans la réflexion qu’elle suscite.
Explorer, écouter, transmettre
Le message intemporel de Belline
Jusqu’aux années 1980, il continue de recevoir dans son cabinet situé au troisième étage du 45 rue Pierre Fontaine, dans le 9ᵉ arrondissement de Paris.
Décédé en 2001, Belline repose désormais au cimetière parisien de Bagneux, aux côtés de son épouse, et de son fils. Il laisse derrière lui un héritage spirituel et intellectuel inestimable. Ses archives personnelles, ainsi que la précieuse collection des œuvres du Mage Edmond furent confiées au Musée National des Arts et Traditions Populaires de Paris, où elles restèrent exposées jusqu’en 2005. Ces trésors sont aujourd’hui soigneusement préservés au MuCEM de Marseille.
Belline nous a transmis non seulement ses écrits et son savoir, mais aussi un message intemporel : donner le bien et écouter notre petite voix intérieure car je cite : « toute personne reçoit au départ, a un degré plus ou moins grand, une part d’intuition susceptible de se manifester a un moment crucial de sa vie », tout simplement.
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👁️ Belline voyait l’avenir à la lumière d’une voix intérieure. Explorez nos autres articles : l’invisible s’y glisse encore entre les mots.







