Le chien de la famille refuse obstinément d’entrer dans la maison. Bientôt, des bruits étranges résonnent à travers les murs. Chaque nuit, à exactement 3h07, toutes les horloges s’arrêtent. Carolyn Perron se réveille alors avec des ecchymoses inexpliquées, tandis qu’une odeur de putréfaction s’infiltre lentement dans chaque pièce. Progressivement, des apparitions spectrales surgissent, et une entité invisible s’en prend violemment aux membres de la famille. Ces phénomènes terrifiants mis en scène dans le film The Conjuring, ne relèvent pas uniquement de l’imaginaire hollywoodien : ils s’inspirent de faits que les protagonistes eux-mêmes affirment avoir réellement vécus dans une vieille ferme de Harrisville, au Rhode Island, au début des années 1970.
Mais où s’arrête la fiction, et où commence la réalité ? Car derrière les effets de mise en scène et l’atmosphère anxiogène du film se dissimule une histoire bien plus trouble, souvent méconnue. Quelle est la véritable histoire de la maison qui a inspiré The Conjuring ? Que s’est-il réellement passé dans cette bâtisse du XIXe siècle ? Quels faits ont été avérés, quels témoignages ont pu être vérifiés ? Et surtout, que reste-t-il aujourd’hui de cette affaire, devenue l’une des plus célèbres de l’histoire du paranormal ?
1971
Quand les Perron réalisent que le cauchemar vient de commencer
En 1971, la famille Perron s’installe dans ce qui devait être leur havre de paix : une ferme isolée du Rhode Island, connue sous le nom d’Old Arnold Estate. Construite en 1736, cette vaste demeure de style colonial, nichée au cœur de Harrisville, s’étend sur près de 200 acres. Chargée de deux siècles d’histoire, elle avait vu se succéder huit générations d’une même famille. Mais derrière ses murs anciens, certaines tragédies — longtemps murmurées — auraient laissé une empreinte invisible, et pourtant indélébile.
Dès les premières semaines, un profond malaise s'installe. Les cinq filles du couple, et leurs parents, Roger et Carolyn Perron, font l’expérience de phénomènes troublants : objets déplacés ou disparus, bruits de pas dans des pièces vides, claquements de portes inexpliqués, odeurs pestilentielles de chair en décomposition. Ces incidents, d’abord mis sur le compte de l’ancienneté des lieux ou d’illusions sensorielles, prennent une tournure plus inquiétante lorsqu’apparaît la silhouette fantomatique d’une femme au cou brisé, dont la sinistre présence semble annoncer le malheur. La famille, profondément bouleversée, raconte qu’elle aurait été directement menacée de mort par l'apparition... Chaque jour un peu plus malveillante.
Au fil du temps, la maison devient le théâtre de phénomènes de plus en plus inquiétants. Des lits se soulèvent du sol, les systèmes de chauffage tombent régulièrement en panne, et des amas de terre surgissent mystérieusement au cœur même des pièces. Carolyn Perron, de plus en plus affaiblie, semble devenir la cible privilégiée de ces manifestations : elle se réveille couverte d’ecchymoses, ressent constamment une présence oppressante, et affirme avoir été agressée par une entité invisible. L’ampleur et la violence des événements finissent par ébranler profondément l’équilibre de la famille.
En quête de réponses, Carolyn et sa fille aînée Andrea entreprennent des recherches sur les anciens occupants de la ferme. Elles découvrent le nom de Bathsheba Sherman, une femme ayant vécu au XIXe siècle, accusée de pratiques occultes et soupçonnée d’avoir causé la mort d’un nourrisson. Bien qu’aucune preuve formelle n’ait jamais permis de l’inculper, sa réputation sulfureuse la fit passer pour une sorcière. Andrea Perron est convaincue que l’esprit de Bathsheba hante toujours la propriété, déterminé à s’imposer comme la seule « maîtresse de maison ».
En 1973, la famille fait appel à Ed et Lorraine Warren, célèbres enquêteurs du paranormal. Lors d’une séance de contact, Lorraine affirme que Carolyn est possédée. Devant leurs enfants terrifiés, la mère se met à parler dans des langues inconnues, lévite brièvement, puis est projetée au sol par une force invisible. Le choc est tel que Roger Perron interrompt l’intervention, craignant pour la santé de son épouse.
Malgré la gravité des événements, les Perron n’ont pas les moyens de quitter la propriété avant 1980. Ils y resteront près d’une décennie, marqués à jamais par cette expérience hors du commun. Aujourd’hui encore, leurs récits divisent. Certaines filles, comme Andrea et Nancy, entretiennent un lien ambigu avec la maison, entre fascination et traumatisme. D’autres, comme Cindy et Christine, refusent catégoriquement d’y remettre les pieds.
Sorcière, meurtrière ou victime, le mystère Bathsheba Sherman
Figure centrale de l’affaire, Bathsheba Sherman incarne à merveille l’archétype de la sorcière rurale dans l’imaginaire collectif américain. Pourtant, au-delà de son rôle emblématique dans le folklore populaire et son incarnation cinématographique dans The Conjuring, la figure historique de cette femme apparaît bien plus complexe — sans doute accusée à tort après sa mort, sur la base de rumeurs plutôt que de preuves.
Née Bathsheba Thayer en 1812, elle épouse Judson Sherman, un fermier du Rhode Island, et s’installe à Harrisville, non loin de l’Old Arnold Estate. Dès cette époque, des rumeurs commencent à circuler à son sujet. L’une des plus macabres — prétend qu’elle aurait tué un nourrisson en lui enfonçant une aiguille dans la tête, dans le cadre d’un rituel satanique présumé. Bien que cette histoire alimente depuis plus d’un siècle l’imaginaire collectif, aucune preuve tangible n’a jamais été présentée, et aucune enquête judiciaire n’a été ouverte à son encontre.
Les documents d’époque, rares mais consultables, la décrivent comme une femme vivant recluse dont l’attitude hautaine attisait la méfiance de la population locale fortement imprégnée de croyances superstitieuses. Cette marginalité - réelle ou supposée - la fit passer pour une sorcière. Certaines versions de la légende vont jusqu’à prétendre qu’elle se serait suicidée après avoir maudit la terre et ses futurs occupants. Là encore, les faits contredisent le mythe : Bathsheba est décédée en 1885, à l’âge de 73 ans, de mort naturelle.. Ses funérailles furent célébrées conformément à la tradition chrétienne dans le cimetière de Harrisville, en présence de ses proches.
Les recherches menées par Andrea Perron, l’aînée de la famille, ainsi que par des historiens locaux, n’ont révélé aucun élément tangible établissant une culpabilité criminelle ou une quelconque pratique liée à la sorcellerie.
Aucun document judiciaire — procès, rapports de police ou chroniques d’époque — ne vient étayer les accusations portées contre elle. En revanche, les archives locales — notamment le fameux Black Book of Burrillville — dressent un tableau bien plus sombre de l’Old Arnold Estate : suicides, accidents tragiques et crimes irrésolus s’y sont succédé sur plusieurs générations. Ce lourd passé pourrait avoir nourri la croyance persistante en une malédiction pesant sur la propriété.
C’est avec l’affaire Perron et son adaptation cinématographique que Bathsheba Sherman est devenue le symbole d’un esprit malveillant qui hante un lieux maudit. Pourtant, aucune source historique ne confirme qu’elle ait vécu dans la maison des Perron, ni qu’elle y ait pratiqué quelque rituel que ce soit.
Malgré les tentatives de réhabilitation menées par certains chercheurs, Bathsheba reste l’incarnation d’une peur ancestrale, née de croyances tenaces et d’un imaginaire collectif toujours vivant.
L’Old Arnold Estate à Harrisville, érigée au XVIIIe siècle, connue comme l’une des maisons les plus hantées d’Amérique. De gauche à droite, Andrea, Nancy, Christine, Cindy, April et Carolyn Perron , immortalisées, au seuil de la maison, dans les 70's. Ed et Lorraine Warren, célèbres enquêteurs du paranormal, venus en aide à la famille.
Les Sutcliffe nient, les Heinzen confirment...
L’éternel mystère de la Maison hantée de Harrisville
Lorsque la famille Perron quitte finalement l’Old Arnold Estate en 1980, on aurait pu croire que les manifestations cesseraient et que le calme reviendrait sur cette vieille demeure coloniale. Il n’en fut rien. Car si les phénomènes semblent s’être tus pour un temps, la réputation de la maison, elle, ne cesse de grandir, nourrie par des récits toujours plus mystérieux.
Les années Sutcliffe (1987–2019) : Pendant plus de trois décennies, Gerry et Norma Sutcliffe vivent dans la maison de Harrisville sans rapporter le moindre phénomène paranormal.
Leur témoignage tranche radicalement avec celui des Perron. Aucun phénomène étrange — ni bruit suspect, ni apparition inquiétante — ne semble troubler leur quotidien. Pourtant, une autre forme de hantise les poursuit : celle des curieux, des enquêteurs du dimanche et des cinéphiles, surtout après le succès du film The Conjuring.
Si les Sutcliffe nient tout élément surnaturel, ils reconnaissent pourtant que la maison, malgré sa tranquillité apparente, n’a jamais cessé de faire parler d’elle. Pour certains sceptiques, leur expérience renforce l’idée d’une psychose collective. Pour d’autres, au contraire, leur silence intrigue : comme si la maison ne révélait ses secrets qu’à ceux qui choisissent d’y croire…
Les Heinzen, de la maison hantée à l’attraction paranormale : L’année 2019 marque un tournant avec l’arrivée de Jenn et Cory Heinzen, un couple de passionnés de phénomènes paranormaux. Contrairement aux Sutcliffe, ils ne recherchent pas la tranquillité, mais souhaitent au contraire documenter et partager les mystères de l’Old Arnold Estate.
Dès leurs premières nuits, ils rapportent une série de manifestations troublantes : bruits de pas, claquements de portes, voix venues de nulle part, coups frappés contre les murs et, plus troublant encore, une étrange brume qui semble se déplacer dans certaines pièces. Leur fille, Madison, affirme avoir vu à plusieurs reprises une silhouette féminine furtive, vêtue d’un voile et d’une jupe blanche. Leurs témoignages, diffusés sur les réseaux sociaux rencontrent aussitôt un vif engouement auprès du public.
Face à cet engouement, les Heinzen transforment la demeure en véritable lieu de pèlerinage pour amateurs de surnaturel : visites guidées, nuits d’enquête, séjours immersifs...
Jacqueline Nuñez : Business, fantômes et controverses
En 2022, la maison est vendue pour plus de 1,5 million de dollars à Jacqueline Nuñez, promotrice immobilière de Boston se présentant également comme médium. Sous l’impulsion de Nuñez, la Conjuring House se transforme rapidement en un véritable lieu de pèlerinage. Chaque semaine, des passionnés de l’étrange, des chasseurs de fantômes et autres curieux venus des quatre coins du globe s’y pressent.
De son côté, bien qu’elle porte une réelle ambition pour le projet, Jacqueline Nuñez choisit de ne pas résider dans la demeure, évoquant une « énergie trop intense pour y vivre sereinement ». En réalité, sa gestion de la propriété s’avère bientôt aussi tumultueuse que les phénomènes paranormaux censés hanter les lieux.
En juillet 2024, Nuñez congédie avec fracas Brian Dansereau, gestionnaire de la propriété. Motif invoqué : l’esprit de John Arnold — ancien propriétaire des lieux au XIXᵉ siècle — lui aurait, révélé, lors d’une communication médiumnique, que Dansereau avait détourné près de 3 000 dollars. Cette décision, à la fois controversée et, pour beaucoup, difficile à prendre au sérieux, provoque une onde de choc parmi les employés et déclenche une série de poursuites judiciaires, accompagnées d'accusations d'agissements abusifs de la directrice, émanant du personnel.
En novembre 2024, le conseil municipal de Burrillville refuse de renouveler la licence d'exploitation touristique de la Conjuring House, invoquant des tensions persistantes avec le voisinage, d'anciens employés et le service de police local. Malgré cette révocation, Jacqueline Nuñez poursuit l'organisation de visites guidées, ce qui entraîne une série de litiges avec des clients réclamant des remboursements.
31 octobre 2025
La maison des Perron change de propriétaires… Ou garde ses secrets
Au cours de l’été 2025, les difficultés financières de Nuñez atteignent un point de rupture. Après avoir fait défaut sur ses paiements hypothécaires, sa banque engage une procédure de saisie, laquelle conduit à une vente aux enchères programmée le 31 octobre 2025 à 11 h, jour de la fête traditionnelle d’Halloween !
La propriété d’environ 280 m², qui s’étend sur un peu plus de trois hectares, suscite déjà la convoitise de plusieurs acheteurs passionnés par son incroyable histoire. Parmi eux figurent le comédien Matt Rife et le YouTuber Elton Castee, ayant déjà acheté ensemble la maison et l’ancien musée d’Ed et Lorraine Warren qui abrite la collection Annabelle...
Alors que la Conjuring House s’apprête à changer une nouvelle fois de propriétaire, une question demeure : sera-t-il maître des lieux… ou la maison qui décide de qui peut en franchir le seuil ?
OFF Inspiration
👁️ Et si chaque maison cachait une mémoire plus vaste que ses murs ? D’autres récits vous attendent, là où l’invisible... Demeure.








